Sunday, December 23, 2012

FPDV N°34 / CHRONICLES / Du gribouillis au dessin (2/2) par Nicolas Savignat

Du gribouillis au dessin : 2ème partie (suite et fin)

... Puis vient le temps du dessin, une élaboration poussée du gribouillage, une activité nécessaire, une profession valorisante.
On peut dessiner de mille et une façons : dans la discipline de l’ascèse, dans le déchainement des passions, avec brutalité, dans l’ordre, avec fougue, avec délicatesse, avec mesure ou bien dans le tourment ! Tout peut devenir une méthode fiable si le désir reste entier et alimente la joie vivace.

Floriane Délié - Série Liquide et mou - aquarelle et encre de chine sur papier - 25x29cm - Ariège 2010.





Dans la série Dessins Idiots, l’artiste Floriane Délié renonce à ses habitudes acquises et à ses facultés graphiques pour explorer une méthode de dessin inhabituelle. Elle croque des motifs en utilisant sa main gauche ou bien à l’aide de sa bouche.

Dessins idiots de Floriane Délié, crayon et bic sur papier, 13x21cm, Paris 2009. 







Le dessin est soumis aux imprévus, échappant à toute programmation préétablie à l’issue déterminée. Dans cette pratique se révèle la dimension du précoce, la candeur juvénile, l’expression des repentirs, la destination aléatoire et paradoxalement un dérèglement raisonné voulu comme un prétexte au jeu.

L’expérimental pratiqué comme dessein est-il invariablement une étape de la création, une condition à l’expression nouvelle dont les enjeux ont une portée centrale, prémonitoire ?

Chez l’artiste Cathy Burghi on peut observer une volonté de varier les pratiques dans la multiplicité des médiums emparés.


Fil sur toile - 24x36cm -  2012.
Cathy Burghi   >  http://www.cathyburghi.fr/

Fil sur toile - 24x36cm -  2012.
Cathy Burghi  >  http://www.cathyburghi.fr/

Dans ces dessins au fil issus de la série Des-Bordada, la figuration d’un motif est inscrite dans un processus de temps et de travail propre à un savoir faire précis. Celui-ci permet d’avoir des aplats colorés intenses, une texture chatoyante et évidemment des sujets définis, simplifiés sans détail superflu.


Fil sur toile- 15cm de diamètre - 2012
Cathy Burghi  >  http://www.cathyburghi.fr/

Fil sur tissu - 35x25cm - 2012
Cathy Burghi  >  http://www.cathyburghi.fr/

Ainsi le dessin s’élabore dans l’intrigue d’une confidence ; une intériorité débordante, envahissante contenue dans une forme délicate voire plaisante. Tout de blanc, de noir et de rose « vêtue », elle s’accorde le temps à la patience : profond, habité, silencieux, intime. Elle se positionne à l’opposé de la société contemporaine et de l’homme d’aujourd’hui : pressé, affairé et finalement oppressé. Il s’agit d’une résistance éhontée ou d’une persistance assumée ; la volonté de garder intacte sa zone secrète comme un droit de réserve ou comme un devoir nécessaire. La solitude comme un trésor inestimable sans calcul, sans programme, sans intégrisme extrême ou définitif.


Fil sur tissu - 20cm de diamètre - 2012
Cathy Burghi >  http://www.cathyburghi.fr/

Fil sur tissu - 15cm de diamètre - 2012
Cathy Burghi  >  http://www.cathyburghi.fr/

Le dessin va donc au-delà d’une pratique cantonnée uniquement au crayon HB et à la feuille A4. Il peut être mêlé à la peinture, projeté directement sur une applique murale, engendré par l’accumulation raisonnée de tesselles de pâte en verre dans le cadre de l’élaboration d’une mosaïque par exemple. Il est souvent associé avec l’activité de composition : de structurer, d’organiser l’espace, de rendre visible les lignes directrices du plan.


Guggenheim as a Ruin - string, tape, plastic and razor blade on paper - 96,5x68,9cm - 2009.
Sarah Sze  >  http://www.sarahsze.com/

Dessiner sur la surface de la feuille, continuer sur le pan du mur, déborder d’un cadre défini, envahir les cimaises, souiller les volumes, les recoins du sol au plafond ; proliférer dans l’espace de l’architecture par un réseau de lignes, une palette colorée. Ainsi peut-on encore parler de dessin quand la représentation virtuelle se traduit sur les volumes réels, se projette sur le mobilier domestique ou urbain?


The Art of losing, mixed media, dimensions variables, Museum of Contemporany Art, 2004.
Sarah Sze  >  http://www.sarahsze.com/

Véritable peintre en volume, graphiste de l’espace Sarah Sze (1969-) réalise des sculptures éphémères in situ. Elle compose un univers en se jouant de la gravitation terrestre dans des installations ambitieuses et poétiques. Elle assemble un nombre indéfini d’objets, associe des formes et des couleurs révélant ainsi la profondeur de l’espace ; une construction réglementée et à la fois libérée de tout système rigide au postulat inflexible.

Une œuvre articulée comme un dessinateur prolonge une ligne de fusain, gomme une masse ténébreuse, rectifie une proportion déraisonnable ; la modulation empirique et intuitive en continu de formes intégrées dans le volume d’un lieu.


Fixed Points Finding a Home, Mudam Luxembourg, 2012.
Sarah Sze  >  http://www.sarahsze.com/

Miniature Words.
Sarah Sze  >  http://www.sarahsze.com/

Peut-être la définition d’un médium précis ou d’une discipline nette est trop étroite, excessivement limitée pour la pensée foisonnante et l’idéal d’absolu d’un artiste pris dans le tourbillon de la création !? Actuellement on remplace le mot artiste par celui de plasticien ; ceci est probablement mieux approprié aux recherches transdisciplinaires contemporaines et à l’ambition de créer des passerelles entre les choses, des liens transgenres. 

Chez l’artiste Cy Twombly (1928-2001) il est intéressant de remarquer comment parfois il occupe l’espace de la toile dans une sorte d’impulsivité savante.


Cy Twombly  (American, 1928–2011) - Pencil, pastel, crayon and oil on paper - 50.3 x 70.6 cm - 1963

Il marque, ponctue la surface du médium de traces ou de signes ; un mélange entre l’adresse et les accidents. Ce grand écart tire sa force d’un équilibre précaire,  un geste ayant l’air hasardeux et paradoxalement une exécution précise et adroite. Ici on peut avouer sans fausse prudence que le dessin fusionne avec la couleur dans une alchimie permanente.


Cy Twombly, Untitled (Rome), 1966, Oil, Wallpaint, grease

Cy Twombly - Untitled - 1970

Des parties de l’espace sont griffonnées, d’autres sont délaissées, immaculées. Il y a des signes picturaux, quelques lignes enchevêtrées et des parcelles saturées… Tout cela compose l’espace du plan ! Je trouve que les accidents variables voulus sont proportionnels à la maîtrise d’un tracé obtenu.


Cy Twombly  - Leda and the Swan - oil, pencil, and crayon on convas - 190x200cm - 1962

Cy Twombly - Ferragosto V - oil paint, wax crayon, lead pencil on convas - 164,5x200cm - 1961

Cet artiste largue une passerelle entre le savoir et l’ignorance, l’intuition et l’intention, la volonté et le hasard, les sens et la raison, le dessin et l’écriture : la formule de l’innommable dans les digressions gestuelles, des répétitions lyriques et des ruptures de tons aux intensités franches.


Cy Twombly - Untitled - Chicago.

Cy Twombly - Night Watch - 1966.

Les dessins de Sébastien Russo ont une fougue juvénile et une énergie indomesticable. Cette circulation effrénée dans le dessin  provoque un envoûtement particulier. La note harmonique dans la richesse ornementale est omniprésente. Ainsi l’artiste dompte ses lignes avec une aisance précise et un calcul non visible ; un mélange de sensations ambivalentes alternant entre l’angoissant et l’euphorique, la fascination et le vertige.
  

Midnight Summer Dream - 2012

Seb Russo   >  http://www.seb-russo.com/

Tango Funèbre - 2012.

Seb Russo -  >  http://www.seb-russo.com/
Hello You - Affiche - 320x240 cm.
Seb Russo -  >  http://www.seb-russo.com/

Chez Pierre Alechinsky (1927-) les arabesques rythment l’espace ; les cercles avortés donnent un tempo d’ensemble. La répétition participe à l’imprégnation mentale et nous entraine dans une danse hypnotique visuellement parlant. Les volutes décoratives laissent échappées des serpentins flottants, sinueuses déflagrations…



Pierre Alechinsky, Cocons et doupions sur lit de mûrier, 1982.

Les boucles raffinées ont vraisemblablement l’apparence d’un « gribouillage », une analogie qui est loin d’être si évidente. Ici la science de la ligne déliée est à son paroxysme et elle s’ouvre à d’infinies variations au niveau de la palette de couleurs employée et dans le déploiement des motifs manipulés. On s’y perd agréablement dans les méandres, les dédales décoratifs, les labyrinthes fantaisistes de ce coloriste hors pair (ancien membre du group CoBrA).


Pierre Alechinsky - Under the volcano.

Pierre Alechinsky - The night - 1952.

Chez nos contemporains comme chez Albert Oehlen (1954-) on peut y voir les mêmes fondements bruts de la création jusqu’à une élaboration plus sophistiquée dans la pratique. Un univers complexe où se mêlent et luttent gribouillis, tracés aux doigts, lignes dynamiques du tableau, effets de flou, saturations prononcées ; un penchant tantôt pour les formes géométriques tantôt pour les figures libres. Un vas et viens lyrique entre une gestuelle arbitraire et une composition par le mouvement.


Albert Oehlen - Conduction 1 - 2009 - Galerie Nathalie Obadia -Courtesy.


Albert Oehlen - Conduction 2 - fusain et acrylique sur toile, 270x310cm - 2009 - Courtesy.

Une citation de l’artiste résume bien en peu de mots les interférences omniprésentes, les réciprocités incessantes, la contigüité invariable entre toutes ces questions propres au discours sur l’art.

« Tout ce qui se passe est ce qui se passe dans le tableau »
(Source : revue : L’été certains l’aiment show 2011)


Peon - oil on convas - 191,5x191,5cm - 1996.

Également chez l’artiste Christian Lhopital, il y a les mêmes préoccupations de travailler sur le point de rupture d’équilibre entre ordre et désordre, forme et informe, intelligibilité et opacité…


Ainsi démonstration est faite que l’art surgit là où l’on ne s’y attend pas. Et opposer le brouillon et le dessin est un exercice bien relatif. Finalement la distinction absolue, la définition intégrale d’une chose est vraisemblablement un non-sens en tant que fin. Elle est surtout un moyen d’amorcer, de nourrir un dialogue de fond entre les individus, une investigation universelle en perpétuel mouvement.

ART IS DEAD
ART IS SUN
ART IS REAL?


Nicolas Savignat.

1 comment:

  1. J'ai nagé entre toutes ces lignes dessinées.
    Je me suis hydratée de rondes et diagonales délirantes de créativité.
    Je m'en suis léché les pupilles .J' ai même salivé des couleurs.

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